Le
mois de décembre
2009 aura été marqué par la sortie du film « Avatar »
réalisé par le canadien James Cameron. Nous allons nous intéresser
ci-après à travers cette production cinématographique aux
variations de mise en œuvre du processus sémiotique et voir comment
« Avatar » renvoie à la problématique des réseaux
sociaux sur le Web 2.0.
Rappelons
en préalable que la signification est l'effet produit pas un signe
considéré en tant que processus dynamique qui conduit à la
connaissance à l'issue d'un parcours cognitif constitué de cinq
chemins possibles correspondant à des inférences mentales
successives menées par tout individu en situation d'interprétation.
Ces inférences ont pour issue la stabilisation du processus mental
dans une forme de signe aboutie, définie par l'une des dix classes
de signes possibles. Ce parcours cognitif est effectué en fonction
de l'acquis antérieur de l'individu qui interprète le signe, son
habitus social.
Selon
l'auteur du film, interrogé d'innombrables fois sur le sujet,
le script aurait été écrit quatorze ans avant la première
projection en salle, soit aux alentours de 1995. L'histoire quant à
elle se déroule en 2154, ce qui en ferait donc un film de science
fiction, dans le cas d'espèce, relevant d'un genre nouveau par sa
construction innovante en trois dimensions, il pourrait même être
classé dans la catégorie « techno-science fiction ».
Pour
conduire notre analyse, nous prenons comme base de départ une
constat simple : l'humanité est composée de forces sociales qui
s'opposent en permanence et pour faire un bref raccourci, à la
puissance institutionnelle, se sont toujours opposés les réseaux
sociaux créant ainsi un certain équilibre, ou pour le moins une
répartition des forces et des pouvoirs. Ceci remonte très loin dans
le temps et est observé depuis que l'humanité s'est dotée d'une
puissance institutionnelle.
Nous
allons donc essayer de voir comment l'analogie, qui est certainement
le procédé auquel on a recours le plus basiquement dans la
cognition, influe de manière importante sur la signification. Pour
cela souvenons-nous que Charles Sanders Peirce évoquait la notion de
« ground » que nous considérons comme le socle du champ
d'interprétants convoqué lors de l'enquête cognitive, ce que nous
pourrions vulgariser par « l'angle de visée » ou encore
le « point de vue. Ce point de vue conditionne évidemment la
signification dans la mesure où toute inférence se produit en
partie par analogie. On compare en effet le signe perçu, celui qui
représente
à un signe connu, celui qui est interprétant. Cette analogie
s'opère donc de manière large mais si elle est opérée en ne
considérant que les signes interprétants d'un sous-domaine
circonscrit, le « ground », elle nous conduit à un
résultat interprétatif dont les inférences sont fondées sur un
point de vue spécialisé.
Concernant
le scénario du film « Avatar » de nombreuses visions ont
été avancées. Nous allons voir qu'une signification peut en être
produite, qui est très lointaine de ce que tous les critiques et
autres analystes ont pu écrire et publier.
Attachons-nous
donc à décortiquer
les caractéristiques de chaque élément du film et allons
rechercher nos acquis antérieurs dans le champ d'interprétants qui
serait celui d'une personne avisée des phénomènes de la société
numérique pour inférer jusqu'à produire la signification du
scénario « d' Avatar ».
En
d'autres termes examinons la situation par la lorgnette de la société
numérique.
L'histoire
du film se passe dans un monde lointain de la civilisation
traditionnelle. L'auteur a choisi de représenter ce monde sous la
forme d'une planète et plus particulièrement d'une forêt dénommée
Pandora. Pandora est constituée d'un maillage « d'arbres-maisons»
reliés entre-eux par des branches ou sortes de lianes horizontales
sur lesquelles naviguent les autochtones. Au pied de chaque
arbre-maison vit un clan socialement organisé. Le script nous
apprend que la forêt est constituée de dix puissance douze arbres
et que chaque arbre dispose de dix puissance quatre connexions avec
les autres arbres.
Sans
aller plus loin nous établissons une analogie avec l'Internet et
plus particulièrement avec le Web 2.0, également organisé sous une
forme réticulaire, avec à chaque nœud un support de réseau social
dont les interconnexions sont les hyperliens. Les arbres-maison
seraient alors les Facebook, Msn, Skyrock, Myspace, Tweeter, etc. et
les clans correspondraient aux groupes organisés en réseaux sociaux
en ligne tels qu'on les connait sur Facebook par exemple.
Dans
le film, les autochtones s'appèlent les « Navi », nous
n'oserons pas pousser jusqu'au rapprochement avec le Navigateur
Web... et ils parlent un langage incompréhensible de l'humain
lambda, à tel point que le film est sous-titré lorsqu'ils
s'expriment.
Notons
que sur le Web 2.0, les internautes manipulent également un
langage, celui hérité du SMS.
Voilà pour le décor local.
Toujours
dans le film, une organisation composée de militaires et de
chercheurs scientifiques, avec à leur tête le Colonel Miles
Quaritch et le Docteur Grace Augustine, se préoccupent de Pandora et
plus précisément d'un minerai à forte valeur, l'« Unobtainium »,
présent sous les « arbres-maisons ».
Nous
établissons ici deux autres
analogies : avec la puissance publique, étatique,
institutionnalisée d'abord et ensuite, concernant le minerai, avec
l'immense potentiel qui se trouve sous les réseaux sociaux en ligne
: potentiel humain, électif, commercial, prospectif, etc dont le
calcul de la valeur a longtemps été indexé sur le cours d'un autre
minerai : l'or.
Le
décor se précise : nous avons d'un côté une organisation sociale
qui vit tranquille sans aucune autre contrainte que la limite de la
structuration numérique (les internautes) et d'un autre côté la
puissance publique cherchant à capter le potentiel et à préserver
ses propres enjeux.
Dans
le film, pour accéder et prendre vie sur Pandora au milieu des
« Navi », les humains ont besoin de se fabriquer un
avatar qu'ils obtiennent grâce à un dispositif de clonage, puis de
se projeter vers Pandora au moyen d'un mystérieux procédé de
téléportation et enfin de se connecter avec la communauté en
raccordant leur queue de cheval à une sorte de trompe dont disposent
les créatures vivant sur Pandora.
Sans
trop de difficulté nous établissons là encore l'analogie :
l'internaute du Web 2.0. se choisit un avatar avec lequel il va se
téléporter sur l'Internet grâce à sa liaison ADSL pour enfin se
connecter avec son pseudo et son mot de passe sur le réseau social.
Sur
Pandora, les autochtones se déplacent en enfourchant des créatures
dont les modèles évoluent au fil du déroulement du scénario,
ressemblant d'abord à des chevaux puis à des sortes de dragons
volants. La tentation est grande de rapprocher ces créatures des
terminaux numériques qui évoluent sans cesse et qui permettent aux
internautes de naviguer sur le web 2.0.
On
voit dans le film comment l'acteur principal Jake Sully, un jeune
ancien militaire devenu paraplégique, verse dans le monde des
« Navi » à travers son avatar au point même de tomber
amoureux de la sulfureuse Navi baptisée par l'auteur « Neytiri ».
Là
encore, l'analogie avec le phénomène « second life »
paraît peu risquée et le choix de l'auteur dans la construction du
nom « Neytiri » nous pousse à l'apparenter sans
difficulté à un pseudo.
A
ce stade, le contexte dans lequel se déroule l'histoire se dessine
de manière assez précise.
Abordons
désormais l'intrigue du film. Nous relevons un scénario assez
simple en quatre temps. Dans un premier temps on assiste à l'arrivée
sur Pandora de Jake Sully rejoignant la délégation de la puissance
publique sur place et missionné pour infiltrer les « Navi »
en vue de piller les réserves d' « Unobtainium » .
Dans un deuxième temps on voit comment son avatar est construit et
comment il accède à Pandora par de nombreux aller-retour et comment
son addiction se développe. Dans le troisième temps on assiste à
un premier assaut de la puissance étatique sur Pandora qui se solde
par une extraordinaire résistance des « Navi » et enfin
dans un quatrième temps un deuxième assaut bien plus puissant que
le premier met à feu et à sac Pandora et se solde par une éclatante
victoire des Navi qui prennent véritablement le pas sur la
situation.
Nous
pouvons encore raccrocher le fil de ce scénario à notre champ
d'interprétant par simple analogie.
Dans
le premier temps, les pouvoirs publics et centres de recherches
mettent au point un ensemble de dispositifs pour s'attaquer au Web
2.0. qui de toute évidence devient une zone de non respect du droit
et dont la maîtrise échappe à l'institution. Poussés par les
majors de l'industrie du disque et du film d'une part, soucieux
d'enrailler les différents trafics d'autre part et de protéger les
individus par ailleurs, les États se dotent de services de
surveillance pour infiltrer les réseaux en vue d'y faire appliquer
le droit. Pour ne prendre que le cas de la France, la Gendarmerie
Nationale dispose par exemple d'une brigade Internet désormais très
active avec des gendarmes qui ressemblent curieusement à Jake Sully.
Dans
le deuxième temps, les services passent à l'action et infiltrent
les réseaux. Les services spécialisés sont aujourd'hui très
actifs et après de très nombreux aller-retour sur la toile
fournissent de précieux éléments aux pouvoirs Étatiques.
L'analogie avec le film est encore assez directe.
Dans
le troisième temps, l'échelon législatif tente de faire interdire
le téléchargement illégal. Cet épisode vécu au milieu des années
2000 qui a permis de faire fermer les deux principaux réseaux de
« peer-to-peer » a eu pour conséquence un accroissement
extraordinaire du téléchargement et la mise au point de multiples
services de téléchargement en direct échappant très
majoritairement à toute surveillance faute de moyens appropriés et
suffisamment dimensionnés des États.
Le
quatrième temps semble de toute évidence pouvoir être mis en
corrélation avec les lois régissant les droits d'auteurs et de
diffusion sur l'internet. Pour la France, la loi HADOPI.
Dans
le film on assiste à un assaut extraordinairement destructif. Les
« arbres-maison » sont en feu, mais de leurs cendres
renaissent avec encore plus de force des résistances chez les
« Navi ». Ces « Navi » qui s'en sortent grâce
aux créatures volantes bleues que l'on pourrait par analogie
rapprocher des opérateurs du Web: Yahoo, Msn, et bien d'autres mais
aussi bien entendu et surtout, Google.
On
voit à la fin du film une scène assez intéressante, où pour se
sortir de la situation Jake Sully doit capturer et dompter le dragon
rouge. Il y parvient en exploitant une faille : étant l'écrasant
leader, voire l'unique prédateur, il n'est jamais venu à l'idée
de cette créature qu'elle pourrait être inquiétée et n'a donc
jamais regardé plus haut. Si nous osions pousser l'analogie nous
dirions qu'il s'agit là de Google.
Jake
Sully s'en sortirait donc grâce à Google mais on le voit dans la
dernière séquence relâcher le dragon rouge et on l'entend dire que
les « Navi » n'ont désormais plus besoin de lui.
En
conclusion, en fondant nos inférences sur le « ground »
de la société numérique et en limitant notre stratégie cognitive
au procédé analogique, le fil du scénario du film « Avatar »
produirait le sens suivant : l'institution publique met en place un
dispositif spécialisé pour la lutte contre les activités illégales
des internautes sur les réseaux sociaux du Web 2.0. Pour parvenir à
ses fins elle infiltre les groupes en dissimulant ses agents derrière
des avatars et initie deux tentatives d'interdiction opérées en
force. La réaction des internautes qui opposent la puissance
réticulaire à la verticalité de l'organisation étatique fait
échouer l'institution publique qui rend les armes. Devenus
suffisamment organisés, les internautes qui ont construit leurs
réseaux au départ grâce à l'action de l'acteur majeur de
l'internet peuvent continuer à évoluer en se dispensant de lui et
vivre tranquille dans leur environnement numérique.
Il
sera intéressant de voir comment finira le Web 2.0 dans la
réalité...