Ouvert, Open : libre

lundi 13 octobre 2014

Documents, logiciels, données en route vers l'ouverture...

La vague de l'hospitalité déferle sur l'action publique, il est intéressant d'observer à quel point l'Open est aujourd'hui au centre des préoccupations. Mais quel sens produit cette ouverture dans l'esprit des usagers, qu'ils soient acteurs publics ou citoyens?

J'ai toujours plaisir à essayer de comprendre comment la signification naît d'une décision publique et les incidences qui en découlent, alors que les anglicismes s’agrippent à notre vocabulaire au point de ne pas nous laisser la liberté de défendre notre bonne vieille langue dans cette mondialisation affolante. Je tente de comprendre ce qu'il en est de l'Open-Document, de l'Open-Source ou encore de l'Open-Data dans une approche sémiotique, pardonnez-moi c'est obsessionnel.

Ces trois orientations, prises dans la stratégie contemporaine de l'État français sont portées au plus haut niveau des instances de gouvernance. Trois textes de référence de portée sans précédent nous laissent entrevoir un impact important dans la vie des citoyens et il faut s'en féliciter. Cet impact sera d'autant plus bénéfique que la société dans son entier aura pu institutionnaliser ces trois notions au point d'en faire des noms communs. Il me plaît toujours de commencer par la lecture des définitions lexicales ou des synonymes piochés dans les dictionnaires majeurs de la langue française. Le mot "ouvert"  parvient à l'esprit du quidam signifiant "qui n'est pas fermé", "franc", "sincère", "communicatif".  Comment l'ouverture des documents, des logiciels ou de données va donc être accueillie par l'usager?


J'avoue avoir fondé un grand espoir en 2004 lorsque la DGME m'avait associé au groupe d'experts pour l'élaboration du référentiel général d'interopérabilité. J'étais à ce moment-là en charge du pôle national de compétence du poste agent au ministère de l'éducation nationale et la problématique des formats interopérables me tenait réellement à coeur déjà à l'époque. On y voyait un moyen pour l'autorité publique de faire prendre un tournant aux usages bureautiques. Aujourd'hui l'Open-Document reste un format de fichier mis en oeuvre essentiellement par la suite LibreOffice, dont il est en quelque sorte issu, et l'invasion des tablettes avec leurs suites bureautiques variées masque l'effet dominant du format propriétaire de Microsoft. Je reste attaché à ce format de fichier basé sur XML, réellement ouvert, mais j'en parle en spécialiste en me disant que le quidam  n'a pas forcément les clés pour en percevoir les enjeux. Je pense qu'on a pas fini d'entendre "je t'envoie un fichier Excel" ou encore, "j'ai presque terminé mon Powerpoint"... Il semble encore complexe d'institutionnaliser l'Open-Document lorsque les administrations centrales elles-même produisent leurs tableaux de bord remplis de macros Excel.
L'annonce par Jacques MARZIN de la perspective d'une nouvelle version du RGI, qui a aujourd'hui le statut d'arrêté du premier ministre, est toutefois là pour nous rassurer.
Je comprend ici le maintien de l’anglicisme : si nous traduisions Open-Document par "Document ouvert", il y aurait  fort à parier sur la confusion induite. Allez, on y croit!


Concernant les logiciels, je trouve l'approche très intéressante. L'Open-Source est introduit à travers une circulaire du premier ministre, ce qui marque une forte volonté de l'État français en la matière.  Dans ce cas, l'impact cognitif s'opère plutôt du côté des acheteurs publics qui prennent souvent appui sur les informaticiens. Mais le déploiement de logiciels aux programmes ouverts se heurte fortement à un habitus ancré depuis le milieu des années 90, lié à hégémonie de Microsoft. De ce que j'observe dans la démarche, il ne s'agit pas vraiment de parler de logiciel libre mais plutôt d'alternative aux logiciels propriétaires. Ce qui est radicalement différent. L'open-Source est synonyme de développement communautaire, ce qui n'est pas une règle d'usage très répandue dans la sphère publique, qui n'a d'ailleurs pas spécialement vocation à se substituer aux éditeurs et qui n'a pas toujours les moyens d'assurer la fonction support qu'on trouve facilement avec les versions propriétaires par contractualisation commerciale.
LibreOffice, porte en son intitulé le marquage de l'open-source, mais ce n'est pas le cas de beaucoup de logiciels au point que pour l'utilisateur, open-source ou pas, ce qui impacte c'est avant tout l'environnement ergonomique et le niveau de compatibilité. Deux conditions indissociables pour garantir l'adhésion. Mais souvent la non adhésion à un outil peut provoquer un sentiment de rejet global pour ce qui est alternatif. D'où le raccourci : libre = moins bien. Je trouve cela dommage, mais c'est ce qu'on vit régulièrement au sein des DSI.
La DISIC maintien à jour un socle interministériel des logiciels libres (SILL) qui couvre les domaines de la production bureautique et une partie des besoins métiers, c'est une approche très intéressante et prometteuse. Je suis tout de même un peu déçu que le SILL n'ait pas été poussé jusqu'au poste de travail, ou plus particulièrement au bureau. Personnellement, je pense que le bureau libre a un réel avenir dès lors qu'il permet également d'utiliser des logiciels propriétaires. C'est notamment le cas de l'Open Virtual Dektop développé initialement par la société Ultéo, disparue depuis, mais dont le code open-source continue d'exister à travers la version communautaire. Le cas d'Android qui représente 84% de parts de marché des tablettes et smartphones me force également à penser qu'il y a là un renversement qui s'opère.
L'open-source provoque souvent la crainte d'une absence de support conduisant de ce fait parfois les décideurs à d'autre choix.


Et puis, plus récemment, l'apparition de ce véritable engouement pour le partage des données publiques  fait du Directeur de la prospective que je suis un fonctionnaire encore plus vigilent à la démarche de production et de publication de données. L'information produite par la sphère publique est désormais reconnue comme un bien commun dont la diffusion est d'utilité publique. Et cette information est dite ouverte dès lors qu'elle est numérique et diffusée selon un format et une licence ouverts. Ce sont les fondement de l'Open-Data décliné en France par la mission Etalab instauré en 2011.  Ce service du premier ministre a la charge d'administrer le portail data.gouv.fr. Je trouve la démarche géniale, elle profite à tous et doit être de nature à favoriser tout type d'initiative. J'observe toutefois une propension croissante à développer des portails de type open-data dans tous les sens ce qui risquerait de rendre l'accès à l'information complexe. Restons vigilants et travaillons dans la cohérence globale avec pour objectif de servir l'usager correctement et pas de conduire notre propre projet. J'observe également que les formats de publication ne sont pas toujours ouverts, y compris sur data.gouv.fr... Dommage qu'il y ait des mauvais élèves dans ce genre d'entreprise.
Alors même si "donnée ouverte" ne fait pas forcément de sens dans l'esprit de l'usager lambda, la dimension internationale de l'OpenData devrait permettre d'institutionnaliser rapidement ce concept. On a de bonnes raisons d'y croire mais ne négligeons pas l'accompagnement nécessaire en interne pour faire adhérer l'ensemble des acteurs.

Un service public qui s'ouvre, c'est plutôt bien, non?
 

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