Le DSI académique face à l'Ecole 3.0 : l'arbre du numérique cache la forêt de l'informatique

jeudi 1 octobre 2015



Avec l'avènement du service public du numérique éducatif, l'école est projetée dans une transformation qui bouscule les représentations et les postures. De la classe inversée à la formation ouverte à distance en passant pas les fédérations d'identités et les guichets de ressources numériques pédagogiques, le système scolaire doit faire face à une mutation sans précédent. Dans ce contexte de transformation, les DSI académiques doivent adapter leur action à un nouveau périmètre où les utilisateurs se chiffrent en millions et où les services sont par essence continus.

Nous tentons une fois de plus de poser un regard sémiotique sur ces changements et d'en examiner les impacts sur les DSI académiques.

L'école 3.0

La loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’École de la République a instauré un service public du numérique éducatif. Le parlement français a fixé à ce nouveau service public l'ambition d'organiser une offre de services pédagogiques numériques à destination de l’ensemble de la communauté éducative avec pour objectif de développer des pratiques pédagogiques diversifiées en vue de renforcer le plaisir d’apprendre et d’aller à l’École, et de réduire les inégalités sociales et territoriales. Une autre ambition est de former les enseignants aux outils et ressources numériques dans la perspective d'une éducation renouvelée aux médias, à l’information et à l’usage responsable d’internet et des réseaux sociaux. Enfin un enjeu important est celui de favoriser l’implication des parents dans la scolarité de leurs enfants. L'objectif global de ce nouveau service est de permettre aux élèves de s’insérer dans la société en tant que citoyens et de fait dans la vie professionnelle.

En terme de représentations, cette réforme arrive par la loi. On imagine donc les nombreux dispositifs d'accompagnement à mettre en place pour que ces dispositions législatives prennent du sens dans les établissements scolaires y compris dans les écoles maternelles des zones rurales de l'hexagone et de l'outre-mer. La mission d'institution des concepts véhiculés par la transformation numérique et celle de leur traduction en actes pédagogiques sont de taille car les concepts en question sont maîtrisés de manière assez hétérogène, dans le corps enseignant notamment. On parlait de la littératie au milieu des années 2000...

En publiant son rapport intitulé « Jules Ferry 3.0 » en octobre 2014, à peine un peu plus d'un an après la promulgation de la loi, le conseil national du numérique indiquait les axes pour "bâtir une école créative et juste dans un monde numérique" . Ce rapport a suscité de nombreuses réactions sur la toile, les causes se situant essentiellement dans les bouleversements induits par la transposition des concepts de la société numérique à l'école. Dans le vocabulaire contemporain, on parle donc désormais d'école 3.0. Cette appellation nous pose forcément question car la notion d'école 2.0 a été lancée en décembre 2012, elle est donc déjà supplantée ! La communauté scolaire dispose-t-elle des signes interprétants lui permettant l’interprétation de ce passage de 1.0 à 2.0 et maintenant à 3.0 ?

Les représentations dont disposent les acteurs de terrain : les enseignants, les équipes de direction des établissements scolaires et les parents d 'élèves, trouvent leur fondement dans le factuel. C'est donc dans la secondéité, la catégorie sémiotique des faits et des existants, que le sens du numérique éducatif est produit. L'observation des changements de pratiques pour les uns, la possibilité qui est donnée de ces changements pour les autres donnent l'indication du degré réel de la transformation qui s'opère.

La transformation

Il faut donc commencer pas bien cerner ce qu'est cette école 3.0. La transformation numérique de l'école semble tenir à un challenge central qui est celui de sortir d'un apprentissage basé sur une posture magistrale de l'enseignant qui dispense un cours à des élèves dans une classe et dans le cadre d'un programme scolaire. On passerait d'un mode d'institutionnalisation des savoirs magistral à un mode dit « inversé » où l'on considère que les savoirs sont sur le réseau et que l'enseignant joue le rôle d'accompagnateur de l'élève dans son parcours cognitif en vue de la construction de ses connaissances. Il s'agit d'une réelle transformation de l'institution scolaire qui suppose d'amener les enseignants vers une rénovation de l'acte pédagogique et dans le même moment de faire évoluer l'école en tant non plus seulement qu'institution mais également en tant que lieu des apprentissages. Le vocable lieu est alors forcément à considérer dans une de ses acceptions : celle de l'immobilier à l'heure du numérique. Certes, là ne semble pas se situer l'enjeu premier, tout au moins en apparence et pourtant il y a bel et bien un changement à opérer pour rénover l'édifice, tout au moins une adaptation de ses espaces à la société digitale.

L'observation des pratiques du numérique au sein des corps enseignants nous éclaire sur le degré de mobilisation du numérique dans la pédagogie et fait ressortir que l'artefact digital est utilisé comme un levier de changement de la pratique avec les élèves uniquement dans une faible part des situations alors qu'il est largement utilisé pour préparer les cours par exemple voire dans une moindre mesure pour les dispenser.

A vrai dire, les perceptions de l'environnement numérique scolaire sont les déclencheurs des motivations nécessaires à la transformation. Les choses ne fonctionnent que dans un sens. L’enchaînement d'un certain nombre de réalités se fait en partant du potentiel technique disponible dans l’établissement scolaire et plus largement dans l’environnement professionnel de l'enseignant pour arriver à la modernisation du geste pédagogique selon une imbrication de conditions qui constituent les axes de développement vers la transformation numérique : équipements, formation, production de contenus, construction des savoirs en sont les quatre étapes successives. En effet, difficile d'imaginer l'introduction du numérique si la composante technologique n'est pas à disposition et totalement fonctionnelle au sens métier du terme.

En clair, et l’État français l'a mis en avant à travers son plan numérique, il est primordial de disposer du socle technique à la fois opérant, sécurisé et continu pour pouvoir envisager la transformation numérique de l'école sous l'angle pédagogique.

La convergence

Dans ce contexte les DSI des académies ont une responsabilité importante. Ils doivent être les acteurs du changement des représentations et pour cela ils doivent commencer par opérer leur propre transformation ou plus exactement celle de leur approche professionnelle.

En premier lieu dans la dimension symbolique. D'un point de vue sémiotique, le symbole se situe dans la tiercéité, le mode d'être de la loi sociale, de la convention, du concept. Les expériences du passé fondées sur ce qu'il a été convenu de nommer les TICE, pour Technologies de l'Information et de la Communication pour l'Enseignement, ont eu pour résultante de faire buter une grande partie des acteurs de l'enseignement sur le premier caractère de l'acronyme. L'écueil pour le DSI académique serait d'engager cette transformation en lui donnant une apparence une nouvelle fois technologique. Il doit donc porter les projets avec les partenaires que sont en particulier les responsables des collectivités territoriales dans une approche pédagogique, ce qui n'est pas dans l'ADN du DSI. Il a donc besoin pour cela d'un ambassadeur pédagogique. Il faut se féliciter de l'instauration dans chaque académie d'un délégué académique pour le numérique à qui ce rôle a été confié. Dès lors le DSI académique opère la plupart du temps en tandem, pour le moins dans cette phase d'équipement préalable et nécessaire à la transformation. Le propos du délégué au numérique agit en signe indexical, il fait pointer l'action du DSI vers un environnement non plus informatique mais pédagogique. Cet index renvoie forcément au plan numérique qui est lui largement relayé par la sphère médiatique.

Cette première transformation ne se situe pas qu'au niveau symbolique car elle s'opère réellement dans le factuel, par la mise en œuvre du plan, au travers notamment des collèges préfigurateurs et du déploiement des équipements mobiles de type tablette. Elle fait émerger une réalité qui est celle pour un DSI de pouvoir compter sur des maîtrises d'ouvrage qui assurent leur rôle avec professionnalisme. Il s'agit donc de faire converger des cultures ancrées chez des acteurs d'origines différentes en vue d'obtenir la synergie nécessaire pour remporter l'adhésion des collectivités territoriales qui ont reçu la charge des acquisitions par la loi. Le DSI se voit investi du rôle d'acteur-clé de la convergence, pivot du déroulement de la phase initiale du plan numérique il doit faire porter son action dans un souci de convergence.

Il est également en règle générale investi de la responsabilité du volet sécurité et doit tout mettre en œuvre pour garantir la continuité de service. Ceci fait appel à des notions qui relèvent des métiers spécialisés de l'informatique et qui peuvent parfois être perçues comme des ralentisseurs dans la trajectoire des projets. Là encore la transformation doit s'opérer. Mettre en avant la sécurité, en amont des projets, renvoie à des notions de restriction, antinomiques avec le principe de liberté pédagogique. Les signes manipulés ne coïncident pas avec l'habitus enseignant. Le DSI doit procéder à un alignement communicationnel tout en restant ferme sur les enjeux de protection des élèves qui sont exposés sur les réseaux et des données qui entrent en scène dans les procédés d'accès aux ressources numériques pédagogiques.

Enfin l'impératif de sécurisation budgétaire des projets qui s'engagent est là encore largement de la responsabilité du DSI qui a une vision précise des coûts cachés mais bien réels que supposent le développement ou l'intégration de services numériques supplémentaires dans des environnements d'infrastructures maîtrisés. Une fois de plus ces réalités sont faussées par la vision que procurent les acteurs majeurs de l'internet en laissant croire que l'immédiateté du service proposé et l'évolutivité en apparence sans limite peuvent s'inscrire dans la gratuité. Hébergements et puissance de calcul doivent être dimensionnés dans des proportions totalement nouvelles correspondant à la masse d'utilisateurs visée par le plan numérique dont les coûts sont eux aussi totalement nouveaux, souvent sans rapport avec les capacités qu'offrent les budgets publics.

C'est donc dans ce challenge d'alignement que le DSI apporte la forte valeur ajoutée de son métier, les méthodes garantes de la conduite efficiente des projets et la technicité informatique souvent très pointue. Il doit désormais s'exposer aux partenaires institutionnels et privés dans une approche nouvelle qui s'inscrit dans la convergence pour garantir la réussite de la transformation numérique.

Des concepts, des compétences, des savoir-faire : l'arbre du numérique cache la forêt de l'informatique.
 

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