Avatar, le film : analogie du Web 2.0.

jeudi 2 juillet 2009

Le mois de décembre 2009 aura été marqué par la sortie du film « Avatar » réalisé par le canadien James Cameron. Nous allons nous intéresser ci-après à travers cette production cinématographique aux variations de mise en œuvre du processus sémiotique et voir comment « Avatar » renvoie à la problématique des réseaux sociaux sur le Web 2.0.

Rappelons en préalable que la signification est l'effet produit pas un signe considéré en tant que processus dynamique qui conduit à la connaissance à l'issue d'un parcours cognitif constitué de cinq chemins possibles correspondant à des inférences mentales successives menées par tout individu en situation d'interprétation. Ces inférences ont pour issue la stabilisation du processus mental dans une forme de signe aboutie, définie par l'une des dix classes de signes possibles. Ce parcours cognitif est effectué en fonction de l'acquis antérieur de l'individu qui interprète le signe, son habitus social1.

Selon l'auteur du film, interrogé d'innombrables fois sur le sujet2, le script aurait été écrit quatorze ans avant la première projection en salle, soit aux alentours de 1995. L'histoire quant à elle se déroule en 2154, ce qui en ferait donc un film de science fiction, dans le cas d'espèce, relevant d'un genre nouveau par sa construction innovante en trois dimensions, il pourrait même être classé dans la catégorie « techno-science fiction »3.

Pour conduire notre analyse, nous prenons comme base de départ une constat simple : l'humanité est composée de forces sociales qui s'opposent en permanence et pour faire un bref raccourci, à la puissance institutionnelle, se sont toujours opposés les réseaux sociaux créant ainsi un certain équilibre, ou pour le moins une répartition des forces et des pouvoirs. Ceci remonte très loin dans le temps et est observé depuis que l'humanité s'est dotée d'une puissance institutionnelle.

Nous allons donc essayer de voir comment l'analogie, qui est certainement le procédé auquel on a recours le plus basiquement dans la cognition, influe de manière importante sur la signification. Pour cela souvenons-nous que Charles Sanders Peirce évoquait la notion de « ground » que nous considérons comme le socle du champ d'interprétants convoqué lors de l'enquête cognitive, ce que nous pourrions vulgariser par « l'angle de visée » ou encore le « point de vue. Ce point de vue conditionne évidemment la signification dans la mesure où toute inférence se produit en partie par analogie. On compare en effet le signe perçu, celui qui représente4 à un signe connu, celui qui est interprétant. Cette analogie s'opère donc de manière large mais si elle est opérée en ne considérant que les signes interprétants d'un sous-domaine circonscrit, le « ground », elle nous conduit à un résultat interprétatif dont les inférences sont fondées sur un point de vue spécialisé.
Concernant le scénario du film « Avatar » de nombreuses visions ont été avancées. Nous allons voir qu'une signification peut en être produite, qui est très lointaine de ce que tous les critiques et autres analystes ont pu écrire et publier.
Attachons-nous donc à décortiquer5 les caractéristiques de chaque élément du film et allons rechercher nos acquis antérieurs dans le champ d'interprétants qui serait celui d'une personne avisée des phénomènes de la société numérique pour inférer jusqu'à produire la signification du scénario « d' Avatar ».

En d'autres termes examinons la situation par la lorgnette de la société numérique.

L'histoire du film se passe dans un monde lointain de la civilisation traditionnelle. L'auteur a choisi de représenter ce monde sous la forme d'une planète et plus particulièrement d'une forêt dénommée Pandora. Pandora est constituée d'un maillage « d'arbres-maisons» reliés entre-eux par des branches ou sortes de lianes horizontales sur lesquelles naviguent les autochtones. Au pied de chaque arbre-maison vit un clan socialement organisé. Le script nous apprend que la forêt est constituée de dix puissance douze arbres et que chaque arbre dispose de dix puissance quatre connexions avec les autres arbres.
Sans aller plus loin nous établissons une analogie avec l'Internet et plus particulièrement avec le Web 2.0, également organisé sous une forme réticulaire, avec à chaque nœud un support de réseau social dont les interconnexions sont les hyperliens. Les arbres-maison seraient alors les Facebook, Msn, Skyrock, Myspace, Tweeter, etc. et les clans correspondraient aux groupes organisés en réseaux sociaux en ligne tels qu'on les connait sur Facebook par exemple.

Dans le film, les autochtones s'appèlent les « Navi », nous n'oserons pas pousser jusqu'au rapprochement avec le Navigateur Web... et ils parlent un langage incompréhensible de l'humain lambda, à tel point que le film est sous-titré lorsqu'ils s'expriment.
Notons que sur le Web 2.0, les internautes manipulent également un langage, celui hérité du SMS6. Voilà pour le décor local.

Toujours dans le film, une organisation composée de militaires et de chercheurs scientifiques, avec à leur tête le Colonel Miles Quaritch et le Docteur Grace Augustine, se préoccupent de Pandora et plus précisément d'un minerai à forte valeur, l'« Unobtainium », présent sous les « arbres-maisons ».
Nous établissons ici deux autres analogies : avec la puissance publique, étatique, institutionnalisée d'abord et ensuite, concernant le minerai, avec l'immense potentiel qui se trouve sous les réseaux sociaux en ligne : potentiel humain, électif, commercial, prospectif, etc dont le calcul de la valeur a longtemps été indexé sur le cours d'un autre minerai : l'or.
Le décor se précise : nous avons d'un côté une organisation sociale qui vit tranquille sans aucune autre contrainte que la limite de la structuration numérique (les internautes) et d'un autre côté la puissance publique cherchant à capter le potentiel et à préserver ses propres enjeux.

Dans le film, pour accéder et prendre vie sur Pandora au milieu des « Navi », les humains ont besoin de se fabriquer un avatar qu'ils obtiennent grâce à un dispositif de clonage, puis de se projeter vers Pandora au moyen d'un mystérieux procédé de téléportation et enfin de se connecter avec la communauté en raccordant leur queue de cheval à une sorte de trompe dont disposent les créatures vivant sur Pandora.

Sans trop de difficulté nous établissons là encore l'analogie : l'internaute du Web 2.0. se choisit un avatar avec lequel il va se téléporter sur l'Internet grâce à sa liaison ADSL pour enfin se connecter avec son pseudo et son mot de passe sur le réseau social.

Sur Pandora, les autochtones se déplacent en enfourchant des créatures dont les modèles évoluent au fil du déroulement du scénario, ressemblant d'abord à des chevaux puis à des sortes de dragons volants. La tentation est grande de rapprocher ces créatures des terminaux numériques qui évoluent sans cesse et qui permettent aux internautes de naviguer sur le web 2.0.

On voit dans le film comment l'acteur principal Jake Sully, un jeune ancien militaire devenu paraplégique, verse dans le monde des « Navi » à travers son avatar au point même de tomber amoureux de la sulfureuse Navi baptisée par l'auteur « Neytiri ».
Là encore, l'analogie avec le phénomène « second life » paraît peu risquée et le choix de l'auteur dans la construction du nom « Neytiri » nous pousse à l'apparenter sans difficulté à un pseudo.

A ce stade, le contexte dans lequel se déroule l'histoire se dessine de manière assez précise.

Abordons désormais l'intrigue du film. Nous relevons un scénario assez simple en quatre temps. Dans un premier temps on assiste à l'arrivée sur Pandora de Jake Sully rejoignant la délégation de la puissance publique sur place et missionné pour infiltrer les « Navi » en vue de piller les réserves d' « Unobtainium » . Dans un deuxième temps on voit comment son avatar est construit et comment il accède à Pandora par de nombreux aller-retour et comment son addiction se développe. Dans le troisième temps on assiste à un premier assaut de la puissance étatique sur Pandora qui se solde par une extraordinaire résistance des « Navi » et enfin dans un quatrième temps un deuxième assaut bien plus puissant que le premier met à feu et à sac Pandora et se solde par une éclatante victoire des Navi qui prennent véritablement le pas sur la situation.

Nous pouvons encore raccrocher le fil de ce scénario à notre champ d'interprétant par simple analogie.

Dans le premier temps, les pouvoirs publics et centres de recherches mettent au point un ensemble de dispositifs pour s'attaquer au Web 2.0. qui de toute évidence devient une zone de non respect du droit et dont la maîtrise échappe à l'institution. Poussés par les majors de l'industrie du disque et du film d'une part, soucieux d'enrailler les différents trafics d'autre part et de protéger les individus par ailleurs, les États se dotent de services de surveillance pour infiltrer les réseaux en vue d'y faire appliquer le droit. Pour ne prendre que le cas de la France, la Gendarmerie Nationale dispose par exemple d'une brigade Internet désormais très active avec des gendarmes qui ressemblent curieusement à Jake Sully.
Dans le deuxième temps, les services passent à l'action et infiltrent les réseaux. Les services spécialisés sont aujourd'hui très actifs et après de très nombreux aller-retour sur la toile fournissent de précieux éléments aux pouvoirs Étatiques. L'analogie avec le film est encore assez directe.
Dans le troisième temps, l'échelon législatif tente de faire interdire le téléchargement illégal. Cet épisode vécu au milieu des années 2000 qui a permis de faire fermer les deux principaux réseaux de « peer-to-peer » a eu pour conséquence un accroissement extraordinaire du téléchargement et la mise au point de multiples services de téléchargement en direct échappant très majoritairement à toute surveillance faute de moyens appropriés et suffisamment dimensionnés des États.
Le quatrième temps semble de toute évidence pouvoir être mis en corrélation avec les lois régissant les droits d'auteurs et de diffusion sur l'internet. Pour la France, la loi HADOPI.
Dans le film on assiste à un assaut extraordinairement destructif. Les « arbres-maison » sont en feu, mais de leurs cendres renaissent avec encore plus de force des résistances chez les « Navi ». Ces « Navi » qui s'en sortent grâce aux créatures volantes bleues que l'on pourrait par analogie rapprocher des opérateurs du Web: Yahoo, Msn, et bien d'autres mais aussi bien entendu et surtout, Google.
On voit à la fin du film une scène assez intéressante, où pour se sortir de la situation Jake Sully doit capturer et dompter le dragon rouge. Il y parvient en exploitant une faille : étant l'écrasant leader, voire l'unique prédateur, il n'est jamais venu à l'idée de cette créature qu'elle pourrait être inquiétée et n'a donc jamais regardé plus haut. Si nous osions pousser l'analogie nous dirions qu'il s'agit là de Google.
Jake Sully s'en sortirait donc grâce à Google mais on le voit dans la dernière séquence relâcher le dragon rouge et on l'entend dire que les « Navi » n'ont désormais plus besoin de lui.

En conclusion, en fondant nos inférences sur le « ground » de la société numérique et en limitant notre stratégie cognitive au procédé analogique, le fil du scénario du film « Avatar » produirait le sens suivant : l'institution publique met en place un dispositif spécialisé pour la lutte contre les activités illégales des internautes sur les réseaux sociaux du Web 2.0. Pour parvenir à ses fins elle infiltre les groupes en dissimulant ses agents derrière des avatars et initie deux tentatives d'interdiction opérées en force. La réaction des internautes qui opposent la puissance réticulaire à la verticalité de l'organisation étatique fait échouer l'institution publique qui rend les armes. Devenus suffisamment organisés, les internautes qui ont construit leurs réseaux au départ grâce à l'action de l'acteur majeur de l'internet peuvent continuer à évoluer en se dispensant de lui et vivre tranquille dans leur environnement numérique.

Il sera intéressant de voir comment finira le Web 2.0 dans la réalité...


1Nous devons la théorie du signe triadique à Charles Sanders Peirce, logicien considéré comme le plus grand philosophe de tous les temps.
2Voir wikipedia à la page James_Cameron
3Si le terme n'existe pas, n'ayons pas de crainte à avancer le néologisme.
4Dans un autre champ épistémologique on parle de signifiant
5Peirce écrivait : «essayer de déchiffrer les signes et de descendre jusqu'au sens même, c'est comme essayer de peler un oignon ou de descendre jusqu'à l'oignon même ».
6Dont un des noms commerciaux est TEXTO
 

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